L'Arsenal, oul'enfer de Dante!

Même Dante resta impressionné par l'Arsenal de Venise.

C’est là qui réside la principale force de l’la Cité des Doges. Dans ses quatre énormes bassins jusqu’à trois flottes entières peuvent prendre place. 

L'entrée-de-l'Arsenal

De ce labeur quotidien, chacun y trouvait sa part à l’Arsenal. Aujourd’hui encore, il suffit de franchir la porte, le premier monument de la Renaissance à Venise, construit en 1460, et qui a subi par la suite des transformations pour retrouver les vestiges d’une activité inlassable. Commencé en 1104 selon la tradition, l’Arsenal a été sans cesse agrandi pour atteindre sa superficie actuelle. Entouré de hautes murailles de briques roses aux créneaux en queue de poisson et d’un fossé, il communique avec la lagune du côté des Fondamente Nuove. Ici, un canal fermé par une porte flanquent deux tours, permettait aux navires d’entrer ou de quitter les hangars, les bassins de radoub et le plan d’eau intérieur pour se rendre dans le bassin de Saint-Marc.

Le-bassin-interiéur-de-l'Arsenal

C’est de cet ensemble grandiose de bâtiments et d’ateliers que sortirent la plupart des navires de la République. Actuellement, une partie de ces bâtiments abrite le musée Historique Naval où des maquettes, des souvenirs et des trophées de la Marine Vénitienne, puis de la Marine Italienne, sont conservées ainsi qu’une touchante collection d’ex-voto pittoresques peints par le marins échappées à quelque naufrage et des fragments du dernier Bucentaure détruit par Napoléon. L’autre partie est occupée par les bureaux et différentes services de l’Amirauté qui  a bien voulu m' autoriser à pénétrer dans l’Arsenal, habituellement interdit aux curieux et qui, autrefois, avait accueilli parmi tant d’autres, un visiteur célèbre, Dante Alighieri.

Dante-Alighieri-auteur-de-la-Divine-Comédie.

On sait, en effet, que l’auteur de la Divine Comédie vint à Venise comme ambassadeur du seigneur de Ravenna, Guido da Polenta. Il visite l’Arsenal. Il est tellement impressionné par le spectacle grandiose qui lui offrent le quais et les chantiers où se mêlent charpentiers et matelots, où les armuriers succèdent aux calfats, qu’il s’en inspire pour écrire un passage du chant XXI de l’Enfer:

 

Quale nell’Arzanà dè Viniziani

Bolle l’inverno la tenace pece,

A rimpalnmar li legni por non sani,

Che navicar non ponno e’n quella vece.

Chi fa suo legno nuovo e chi ristoppa ;

Le coste a quel, chi più viaggi fece :

Chi ribatte da proda, e chi da poppa,

Altri fa remi, e altri volge sarte ;

Chi terzeruolo e artimon rintoppa ;

Tal, non per fuoco, ma per divin arte

Bollia laggiuso una pergola spessa

Che inviscava la ripa d’ogni parte.

 

Comme l’hiver, dans l’Arsenal des Vénitiens,

la poix tenace bout pour calfater les vaisseaux endommagés,

 et au lieu de naviguer ce qu’ils ne peuvent faire,

celui-ci remet sa coque à neuf

et celui-là étoupe les bords du bâtiment qui a fait de nombreux voyages.

Qui de radouber la proue, qui la poupe;

L’un prépare les avirons,

Et l’autre tord des haubans ;

Ou encore il répare les voiles de misaine et celles d’artimon.

Ainsi, non par le feu,

Mais grâce à un art divine

Bouillait en ce bas-fond

Une poix épaisse qui engluait la rive de toutes parts.

L'intérieur-de-l'Arsenal

Ainsi, à travers l’Europe entière, la Méditerranée et jusqu’en Orient, ces chantiers navals avaient acquis une grande réputation; n’étaient-ils pas à l’origine de la prospérité et des victoires de la Cité des Doges? Encore aujourd’hui l’on reste confondu devant l’ordonnance des anciens hangars où venaient se ranger les galères, d’autre où l’on tressait des cordages de plus de deux cent mètres de long et l’on peut toujours voir deux grandes cuves de pierre remplies d’eau douce qui servaient à se laver, à les débarrasser du sel, à leur rendre leur première souplesse. L’Arsenal n’avait pas son pareil non seulement pour fabriquer, mais aussi pour entretenir tout ce qui était nécessaire à la plus grande flotte de guerre et de commerce des XV et XVI siècles. Les victoires de Venise sur Gênes, sa principale rivale, comme sur les Turcs de plus en plus menaçants, c’est surtout grâce aux remarquables travaux de ses ouvriers, les arsenalotti, que la Sérénissime les remportera. Ils sont près de soixante mille à l’époque de la plus grande activité. En effet, cet Arsenal, comme les ennemis de Venise aimeraient s’en emparer ! Que de fois, d’ailleurs, Milanais, Espagnols, Turcs n’essaieront-ils pas d’allumer des incendies !

Un-des-lions-qui-gardent-la-porte-de-l'Arsenal

C’est là qui réside la principale force de l’Etat. Dans ses quatre énormes bassins jusqu’à cent vingt galères – trois flottes entières – peuvent prendre place. Chantiers de carénage, chantiers de radoub : in n’est pas une avarie qui ne puisse ici être réparée. Ferrements, clous, ancres, boulets, planches, mâts, timons, avirons, chanvre, cordages, câbles, voiles, poix, salpêtre, poudre : in n’est pas un élément constitutif d’une galère, pas un instrument dont elle se sert qui ne soit ici fabriqué. Pour éviter les vols, la moindre pièce est estampillée au sceau du lion ailé, même les clous ! Et dans tout atelier des moules spéciaux permettent une production en série. Aussi Venise n’a-t-elle pas sa pareille pour s’armer. Lors de la guerre de Lépante, cent galères en cent jours furent, dit-on, construites. Et Henri III devait longtemps parler de la démonstration à laquelle il assista : une quille et une simple charpente transformées en moins de deux heures en un navire gréé et voguant!